L’éventualité d’un mariage avec un soldat de Daech glace le sang des Syriennes

Sidartha Dar “Abu Rmisa” British
Sidartha Dar “Abu Rmisa” British

spécial – Raqqa is Being Slaughtered Silently

Depuis l’arrivée de l’Etat Islamique dans la province de Raqqa début 2014 et la main mise rapide des djihadistes sur la ville, les femmes vivent dans la terreur de se retrouver marier à un de ces combattants. Tous sont encouragés à trouver une épouse. Un mariage assoit leur présence dans le « Califat » et renforce les liens avec les populations civiles. Mais une femme, c’est aussi et surtout un moyen pour les Islamistes d’assouvir les pulsions les plus incontrôlées.

Dans la région de Raqqa, depuis des siècles et jusqu’à récemment, le mariage était une affaire de clan : on se mariait entre proches et souvent entre membres d’une même famille. Il n’était ainsi pas rare de voir un cousin demander la main de sa cousine. Cette dernière préférait toujours épouser le fils de son oncle plutôt qu’un inconnu. Ainsi allaient les affaires maritales depuis des siècles, et personne n’avait à s’en plaindre.

Une fois la main de sa future épouse obtenue, le marie devait s’acquitter d’une somme d’argent qui, avant le début de la révolution variait en général de 200 000 à 350 000 livres syriennes (entre 3 et 5000 euros), à charge pour la mariée d’acheter ses tenues et ses bijoux pour la noce. Les mariages étaient alors un moment de fête que les villageois s’efforçaient de faire coïncider avec le temps des récoltes, période de l’année particulièrement prospère pour les agriculteurs. 

En ville, même si les coutumes sont moins prégnantes, le mariage devait se conformer aux traditions de chaque famille ; une place plus grande était accordée à la fête et à la musique, notamment au travers de concerts qui duraient plusieurs jours. C’était des moments de joie intense où les mariés étaient entourés de leurs amis et de leurs proches, sous le regard bienveillant des autorités de l’Islam modéré.

Tout de suite après le début de la révolution, le cadre traditionnel du mariage a volé en éclat : la dote est devenue plus que symbolique car la monnaie syrienne s’est effondrée au profit du dollar ; puis les mariages et la musique ont disparu, effacés par la dureté du quotidien et la peine que le peuple syrien ressentait.

Plus tard, quand la libération a commencé à se faire sentir, tandis que les forces rebelles mettaient la main sur de nombreuses parties de la province, conférant à ces régions le retour de la paix, le goût des unions est réapparu : Le nombre des mariages a alors augmenté, phénomène rendu possible par le sentiment d’être à l’abri, loin des menaces du régime d’Assad et de son armée.

Mais l’arrivée des bataillons de l’Etat Islamique et de ses combattants étrangers venus peupler « la terre du Califat » a une fois de plus bousculé la coutume. A la recherche d’épouses, ils sillonnent la ville et la campagne, tentant de forcer les familles à leur livrer leurs filles, ce que les villageois refusent, prétextant qu’il leur est interdit de marier leurs enfants à des Etrangers.

L’Etat Islamique a donc érigé des règles très strictes pour les femmes afin de les contraindre à s’unir à un de ses soldats.

–       le port obligatoire du Niqab, tel que l’impose Daech ;

–       l’interdiction pour une femme de sortir sans être accompagnée d’un homme de sa famille ;

–       l’interdiction pour les femmes de moins de cinquante ans de voyager, sauf pour raison médicale ;

–       la fermeture des écoles et des universités leur étant dédiées ;

–       l’interdiction pour les femmes de voyager pour étudier dans d’autres régions ;

–       l’interdiction pour les femmes de travailler sans la présence d’un homme de leur famille dans la même pièce ;

–       l’interdiction pour les femmes d’aller aux fours communaux pour faire cuire leurs aliments ;

–       l’arrestation de toute femme se promenant dans la ville sans un homme de leur famille.

Par ailleurs, de nombreux aspects de la vie quotidienne incitent les pères à marier leurs filles avec des soldats de Daech :

–       les conditions de vie confortables dans lesquelles vivent les djihadistes au regard de l’extrême pauvreté du reste de la population ;

–       les dots importantes versées par l’EI aux familles des futures mariées ;

–       la sécurité toute relative accordée à ceux qui évoluent dans le giron de l’EI ;

–       les menaces de kidnapping qui sont nombreuses dans la ville, surtout pour toutes les familles qui se détourneraient des volontés de l’EI.

Tout est donc fait pour pousser les familles à placer leurs filles sous l’autorité de l’Etat islamique en la mariant à un djihadiste, que ce soit en les incitant avec de l’argent ou des menaces répétées, ou en leur conseillant une telle union si une d’entre elles est arrêtée par les patrouilles qui font respecter la Charia dans les rues. Ainsi, des centres ont été créés pour proposer aux détenues, célibataires ou veuves, de se marier très rapidement avec un combattant de Daech.

Les mariages contractés relèvent souvent de l’aberration, les futures mariées ne connaissant rien d’autre de leurs époux que le surnom qui leur est donné en fonction de leur pays d’origine (Abu Ahmed Iraqi –Abu Dardaa Tunisian…). Une situation qui complique d’autant la reconnaissance de paternité quand un de ces soldats est tué au combat, ou s’il est blessé et transporté dans une autre région du pays.

One of the centers which established by the group to manage the operations of marriage
One of the centers which established by the group to manage the operations of marriage

Des familles ont préféré fuir plutôt que de marier leurs filles avec un soldat de Daech. Malgré l’Omerta qui règne sur tout ce qui touche aux affaires et à l’organisation de l’Etat Islamique, un cas de suicide a été relaté, celui d’une jeune femme qui a préféré mettre fin à ses jours dans un champ à la sortie de la ville plutôt que de se retrouver unie à un djihadiste, comme le souhaitaient ses proches.
 
Enfin, des comportements étranges ont été observés chez certains combattants, témoignant de pulsions qu’ils semblent avoir du mal à endiguer :
–       certains combattants épousent plusieurs femmes en un temps très court et cherchent même à s’allouer les services sexuels de certaines captives (les Sabayas).

–       ils sont nombreux à vouloir s’approvisionner en viagra, comme le témoignent des pharmaciens de la ville ;

–       de nombreux médecins témoignent des brutalités dont certaines femmes sont victimes de la part de leurs maris, les obligeant à se rendre à l’hôpital pour se faire soigner.

On l’aura compris, la situation actuelle place les femmes de Raqqa dans la peur permanente, les poussant à préférer rester chez elles comme si elles vivaient dans des tombes, et ne pas risquer de tomber entre les mains des combattants du « Califat ». 

Statistics shows numbers of women who married from ISIS foreign fighters
Statistics shows numbers of women who married from ISIS foreign fighters
media activist from the city of Raqqa, student at the Faculty of Law at the University of the Euphrates. Director of the Media Office of Raqqa, founding member of "Raqqa is Being Slaughtered Silently", founding member of the documentary project of "Sound and Picture". I work in documenting violations committed by Assad's regime and ISIS group and extremist organizations inside the city of Raqqa, as I work in programming, design and visual media. I hold a certificate of coach in digital security, and a certificate of journalist coach, and a certificate in documenting violations against human rights, and a certificate in electronic advocacy. I underwent a training under the supervision of "Cyber-Arabs" in collaboration with the Institute for War and Peace "IWPR", about the management of electronic websites and leadership of advocacy campaigns, and a training of press photography under the supervision of the photojournalist "Peter Hove Olesen".